Le charbon végétal, pour une digestion de roi

Article repris du magazine Bio Info N°19 (Janvier 2014) Perrine Roux

Charbon végétal

Le charbon végétal est un remède connu depuis des temps immémoriaux, en particulier pour le traitement des troubles digestifs et intestinaux. De l’Égypte antique à aujourd’hui, sa réputation ne s’est pas noircie, bien au contraire.

La plus ancienne trace écrite de l’utilisation médicinale du charbon végétal remonte à 1550 avant J.-C. Dans le papyrus d’Ebes – le médecin de Ptolémée XII – il est préconisé comme antidote universel. Les bois calcinés de bouleau et de peuplier ont en effet très vite été reconnus comme capables d’absorber les molécules toxiques. Mais la notoriété arrive au XIXe siècle, avec le charbon de Belloc, du nom de Camille Belloc, chirurgien aide-major au 5e Dragons.

Lors d’une campagne en Algérie, il contracte une grave maladie gastrique qui lui cause des douleurs intestinales. Il teste alors sur lui-même le charbon végétal activé qu’il sait être un remède antique contre la diarrhée. Les résultats positifs ne se font pas attendre, si bien qu’il fait de sa poudre de charbon de jeunes pousses de peuplier un médicament qu'il commercialise en 1849. 

Le début du XXe siècle marque l’utilisation de nouveaux procédés de fabrication et l’apparition de remèdes alliant le charbon végétal actif avec d’autres composants. C’est le cas d’Eucarbon. Ce médicament est créé à Vienne en 1909 par le Dr Wolfgang Pauli et le pharmacien Franz Trenka. Leur objectif : mettre au point un laxatif et un détoxifiant intestinal, en utilisant uniquement des ingrédients d’origine végétale. La recette comprend, en plus du charbon végétal de bouleau, de la feuille de séné et un extrait de racine de rhubarbe pour leur pouvoir laxatif, des huiles essentielles de menthe et de fenouil pour calmer les douleurs intestinales et les spasmes et donner bon goût au médicament. Plusieurs études récentes ont démontré son efficacité, notamment sur le syndrome du côlon irritable. Eucarbon est aujourd'hui vendu dans plus de 50 pays via l'internet, toujours avec le même emballage jaune voulu par Franz Trenka : dans la tradition chinoise, cette couleur est liée aux affections gastro-instestinales.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les ventes du produit ont faibli. Néanmoins, aujourd’hui, de nombreux fabricants de compléments alimentaires l’ont dans leur catalogue. Le cas échéant, ils y associent des probiotiques, de la propolis verte, tandis que pour sa fabrication on a aussi recours à la noix de coco et à la bourdaine.

Fabrication : Le charbon activé, quèsaco ?

Quand on parle du charbon végétal en tant que remède pour les maux intestinaux et digestifs, on parle du charbon dit activé ou actif. Pour fabriquer ce remède naturel, la première étape consiste à calciner un bois comme le peuplier, selon la technique de la pyrolyse, à haute température, entre 600 et 900 °C. La seconde étape consiste à l’activer, c’est-à-dire à lui donner une capacité d’adsorption plus grande. Au début du XXe siècle, l’activation était réalisée à l’aide d’acide phosphorique. Aujourd’hui, le bois, après une seconde calcination, est activé par de l'air et de la vapeur d'eau sous pression. Ce procédé crée des micropores à la surface du charbon qui vont faire office de pièges à molécules indésirables. Toutefois, ces différents procédés d’activation sont encore utilisés aujourd’hui et parfois conjointement.

 

ANTIPOISON : Démonstration spectaculaire

La capacité du charbon végétal actif d’absorber et de fixer toutes les molécules étrangères en fait un antipoison très efficace. Au début du XIXe siècle, cette qualité a été mise en évidence lors de deux démonstrations des plus spectaculaires. En 1813, le professeur Bertrand, chimiste, ingère une dose d’arsenic suffisante pour tuer 150 personnes devant un public estomaqué. Mais, ayant aussi absorbé du charbon végétal, il ne ressent aucun symptôme d’empoisonnement. En 1831, le pharmacien Touéry fait à son tour une démonstration devant l’Académie de médecine de Montpellier, en avalant dix fois la dose létale de strychnine, le résultat est le même. Le charbon végétal est une pompe antipoison efficace, qui peut absorber, par exemple, 178 fois son volume en ammoniaque.